Que serait Sherbrooke sans le Mont-Bellevue, le parc Jacques-Cartier ou le Bois-Beckett? Difficile d’imaginer notre ville sans ces grands espaces verts où l’on peut marcher dans les sentiers, respirer l’air frais et se ressourcer à l’ombre d’un arbre.
Autrefois, des voix se sont élevées pour protéger ces lieux et en assurer la pérennité pour les générations futures. Pas de condos, pas de commerces. Seulement la nature, préservée pour sa valeur écologique et pour le bien collectif.
Aujourd’hui, un vaste écosystème forestier au coeur de Sherbrooke mérite la même vision : le Boisé Ascot-Lennox.
Ce vaste milieu naturel de 280 hectares relie les arrondissements d’Ascot et de Lennoxville. Il est situé sur le territoire ancestral de la Nation W8banaki (Abénaquis). Ses forêts matures, ses milieux humides et sa riche biodiversité en font un véritable poumon pour la ville. Pourtant, le boisé n’est pas encore entièrement protégé du développement immobilier.
Lors de l’adoption de son Plan nature, la ville de Sherbrooke a instauré un règlement de contrôle intérimaire qui suspend temporairement les projets de construction sur ce territoire. Mais les terrains restent des propriétés privées, donc inaccessibles au public. Même si, historiquement, la population y a longtemps trouvé un lieu de promenade.
Durant la campagne électorale municipale de 2025, un consensus s’est dégagé : tous les candidats d’Ascot, de Lennoxville et de la mairie ont exprimé leur volonté de protéger le Boisé Ascot-Lennox. Une promesse qui résonne profondément avec la mission de l’Association pour le Boisé Ascot-Lennox (ABAL), un organisme à but non lucratif et de bienfaisance enregistré, fondé par des citoyens engagés.
Habiter le territoire autrement
Pour Mathieu Vinette, président de l’ABAL, protéger le boisé, ce n’est pas seulement préserver un écosystème. C’est aussi défendre une vision du territoire à l’échelle humaine.
« Pendant la pandémie, les gens ont réalisé à quel point ils avaient besoin d’une dose quotidienne de nature. C’est essentiel, autant pour la santé physique que mentale. »
Les objectifs de l’association sont clairs : préserver la valeur écologique du boisé tout en garantissant un accès sécuritaire et durable pour les citoyens. L’organisme rêve d’un sentier pédestre reliant Ascot et Lennoxville – un trait d’union entre deux arrondissements où la population est dense et les revenus souvent modestes. Pour concrétiser cette vision, l’ABAL cherche à conclure des ententes volontaires avec les propriétaires des lots, afin d’assurer la protection à perpétuité de ce territoire.
« Nous ne sommes pas dans une logique de spéculation foncière, ce serait contraire à nos valeurs », souligne Mathieu Vinette. « L’idée n’est pas d’acheter à prix fort, mais de trouver des solutions qui respectent les intérêts de tous. Les propriétaires sont invités à prendre part au projet de conservation. »
L’ABAL est sensible aux enjeux liés au logement, un besoin tout aussi fondamental que la justice sociale, environnementale et intergénérationnelle. L’organisme rappelle toutefois que le développement résidentiel ne doit pas se faire au détriment de la nature. Lorsqu’une forêt est rasée pour faire place à un quartier, ce sont tous les citoyens qui en paient le prix.
« Le logement devrait être pensé à l’image des forêts : denses, verticales et riches, avec un minimum d’emprise au sol », explique Mathieu Vinette. « Le Boisé Ascot-Lennox, c’est un peu notre Central Park à Sherbrooke. À nous d’en faire un patrimoine collectif. Demandez à n’importe quel New-Yorkais s’il serait prêt à sacrifier Central Park pour quelques immeubles de plus. »
Quand la forêt protège la ville
Le Boisé Ascot-Lennox est le plus grand massif forestier de Sherbrooke, plus vaste encore que le parc du Mont-Bellevue. Véritable zone éponge, il retient l’eau de pluie et contribue à réduire les risques d’inondation. Il atténue aussi les îlots de chaleur, améliore la qualité de l’air et capte le carbone. Autrement dit, le boisé rend de précieux services écosystémiques, ces bienfaits que la nature nous offre sans qu’on ait besoin d’intervenir.
Préserver le boisé, c’est aussi protéger Sherbrooke des effets des changements climatiques. Les municipalités québécoises assument déjà une grande part des coûts liés à ces bouleversements. Plus de deux milliards de dollars selon les estimations. Miser sur la nature en ville, c’est choisir une assurance collective pour le bien-être de tous.
Une alliance avec la Nation W8banaki
Depuis sa création, l’ABAL collabore étroitement avec la Nation W8banaki. Un comité a été formé pour faciliter les échanges et intégrer les valeurs w8banakiaks au plan de conservation du Boisé Ascot-Lennox. Cette approche reconnaît la dimension historique et culturelle de cette terre ancestrale, appelé Ndakina. Il importe d’intégrer la vision et les intérêts de la Nation dans la gestion du territoire, tout en développant des outils d’éducation et de communication pour sensibiliser la population sherbrookoise à ces enjeux.
Pour Mathieu Vinette, cette collaboration est essentielle :
« La Nation W8banaki nous rappelle que la nature et l’humain peuvent coexister, sans qu’il y ait de gagnant ni de perdant. »
Récemment, le magazine Nature Sauvage et le Réseau des milieux naturels ont décerné le Prix de la relève à Mme Amélie Hébert-Chaput, vice-présidente de l’ABAL et responsable du Comité culture Wabanaki. Cette distinction honore un·e jeune chercheur·e ou bénévole qui s’est distingué·e dans le domaine de la préservation du patrimoine écologique québécois.

Passer à l’action, une parcelle à la fois
Au-delà de la sensibilisation, l’association a lancé une campagne de sociofinancement pour créer un fonds dédié à l’acquisition de terrains. En tant qu’organisme de bienfaisance, elle peut émettre des reçus pour fins d’impôt liés aux dons monétaires et aux dons de lots.
L’ABAL développe aussi un réseau de trois stations météo : à Ascot, à Lennoxville et au cœur du boisé. Elles mesureront les effets du couvert forestier sur la température et la qualité de l’air. Les données recueillies seront publiques et serviront d’outils pour mieux comprendre les bienfaits des milieux naturels en ville.
Un engagement citoyen pour la nature
Préserver le Boisé Ascot-Lennox, c’est bien plus que veiller sur un espace vert. C’est sauvegarder un lien vivant entre les communautés, une source de résilience face aux changements climatiques, un héritage commun pour les générations à venir.
« La nature ne peut pas se défendre d’elle-même », rappelle Mathieu Vinette. « Mais chacun peut s’impliquer : devenir membre de l’ABAL, faire un don ou simplement parler du projet autour de soi. Il faut agir plutôt que de se limiter à faire défiler les mauvaises nouvelles environnementales sur les médias sociaux. Ça fait baisser l’écoanxiété. »
À travers sa démarche, l’ABAL incarne une véritable forme d’entrepreneuriat collectif : une organisation citoyenne qui innove, rassemble et met en œuvre des solutions concrètes pour préserver le territoire. En alliant conservation, sensibilisation et planification responsable, elle montre qu’on peut intégrer la nature au développement urbain.


