À quoi mesure-t-on le succès d’une entreprise? Si on se fie à l’image classique véhiculée par la croyance populaire, on serait portés à répondre que c’est une entreprise en pleine croissance, dont les actifs fructifient et se diversifient. Mais si les actifs en question sont en bonne partie de nature humaine?
L’entreprenariat ne vise pas toujours le profit personnel ni la cotation en bourse, et c’est particulièrement le cas en économie sociale. Pour Guillaume Brien, directeur général de la Fédération des coopératives d’habitation de l’Estrie (FCHE), ça signifie avant tout la concrétisation d’une vision, une vision collective en ce qui le concerne. Et si l’on se fie à sa feuille de route, on peut assurément affirmer que l’entreprise qu’il dirige est rayonnante de santé!
« J’ai un tempérament qui a besoin d’entreprendre des choses, de développer, de réaliser. Quand en plus c’est dans un but humain, pour un monde meilleur, ça me rejoint » affirme l’entrepreneur, pour qui ce désir de développer s’est toujours articulé autour d’une motivation collective.

Natif de Waterville, Guillaume Brien a grandi en commune, entouré d’adultes travailleurs sociaux et professeurs au primaire, ce qui a nourri son instinct grégaire, mais aussi son désir d’apprentissage et de transmission du savoir. Il suivra ensuite ses parents au Rwanda pendant deux ans pour y faire de la coopération internationale, et c’est là, sans le savoir, que le jeune Guillaume allait cueillir les racines de son engagement pour la collectivité.
De fait, après avoir complété une Maîtrise en gestion et développement des coopératives à l’Université de Sherbrooke, ce qui l’amène à nouveau à faire de la coopération internationale, il revient au Québec avec le désir d’ancrer ses connaissances et son tempérament entrepreneurial dans le milieu coopératif. «Je trouvais que c’était ce qui s’en rapprochait le plus. Quand tu arrives dans un autre pays, t’as pas grand-chose à apprendre aux gens; ils ont déjà humainement un potentiel, des capacités, un milieu de vie extraordinaires. Il s’agit de canaliser certaines choses, de faire valoir, amplifier certains éléments qu’ils ont déjà à leur disposition. »
Le milieu coopératif semble donc idéal pour ce rassembleur, et c’est au port de Québec que son bateau d’entrepreneur prend d’abord ancrage pendant 10 ans, dont les cinq derniers à titre de directeur général de la Fédération des coopératives d’habitation de Québec.
L’Estrie, un terreau fertile pour la coopération
Après avoir œuvré à soutenir, avec les partenaires du milieu, la consolidation du réseau de quelque 200 coopératives d’habitation et le développement de projets qui ont mené à la création de 1500 nouvelles unités de logement dans la capitale nationale, il revient dans sa région natale où il agit à titre de directeur général de la Fédération des coopératives d’habitation de l’Estrie depuis maintenant 5 ans. Si la taille du réseau est moins imposante, avec ses 52 coops d’habitation, les défis n’en sont pas moins enlevants. « Ça nous permet de développer plein de nouvelles choses, de les tester et de les faire rayonner au niveau national. Si ça marche, qu’on l’ancre bien en région, je m’en fais un des ambassadeurs pour le développer ailleurs au Québec. »

Parmi les projets que son équipe et lui ont contribué à développer au fil des ans, notons la diversification des coopératives d’habitation pour des clientèles particulières, comme les aînés, les personnes vivant une problématique de santé mentale ou les familles et personnes seules à faible revenu. Certains projets, comme la coop La Diligence de Bromptonville, font cohabiter familles et aînés, amenant ainsi une mixité sociale qui stimule les échanges et améliore la qualité de vie dans le milieu.
En plus de développer de nouveaux projets, la FCHE accompagne et soutient les coopératives existantes au niveau de la comptabilité, de la gouvernance et de la saine cohabitation entre les membres. « On a beaucoup développé l’entraide à travers des projets comme le comité bon voisinage, la médiation citoyenne, et des projets de coopératives bi-générationnelles, du jamais vu en Estrie. Les membres y gagnent une confiance en eux extraordinaire. » Dans les coops pour aînés, entre autres, les membres sont particulièrement actifs au sein des nombreux comités. « Des aînés de 72, 82 ans arrivent à la coop et se disent : j’ai le droit de rêver, et ici je vais pouvoir contribuer à réaliser mes rêves! On change le monde comme ça. »
Une entreprise florissante
Guillaume Brien mesure le succès de son entreprise selon plusieurs critères, dont l’autonomie de l’organisation au niveau financier, et l’augmentation de la participation des membres aux événements, laquelle a doublé en Estrie au cours des cinq dernières années. « On a aussi doublé le nombre d’événements annuels, avec des activités de formation pour créer cette autonomie-là chez nos membres. » La saine gouvernance dans les décisions et dans le rapport entre les décideurs est également un indicateur important, de même que la préservation de l’actif immobilier. À ce chapitre, de nouvelles mesures de gestion écologique des immeubles commencent à émerger, pour s’assurer un maintien de la valeur des actifs à long terme.

Mais comme tout bon entrepreneur imaginatif et branché sur le milieu, Guillaume Brien développe, en parallèle, de nouveaux concepts pour diversifier l’offre de logements coopératifs en Estrie, qui est loin de suffire à la demande. Pour ce faire, il se réjouit de pouvoir compter sur la collaboration de précieux partenaires du milieu tels que Basta Communication. « Pour bien soutenir et faire rayonner nos coops, il est important de s’entourer d’entreprises et d’organismes qui ont des valeurs humaines et qui les intègrent dans leur démarche. »
Les coopératives d’habitation ayant toujours été tributaires des subventions gouvernementales, Guillaume Brien et son équipe travaillent sur une nouvelle formule qui favoriserait la création de nouvelles coops, en permettant au membre d’acheter une part du droit de propriété. « Ça permettrait de sortir des projets de la spéculation et de faire passer le parc coop de 1% au Québec (3% en Estrie) à 5-10-15% comme dans certains pays d’Europe ou d’Afrique. » Des projets sont également sur la table à dessin dans les municipalités rurales autour de Sherbrooke, ce qui concoure à les garder vivantes et dynamiques en contrant l’exode.
Il y a aujourd’hui 52 coops en Estrie, ce qui représente plus de 1700 logements. S’il n’en tient qu’à Guillaume Brien et son équipage, ce score ne cessera d’augmenter au cours des prochaines années, en quantité mais aussi en qualité. « Ça fait 15 ans que je suis dans les coops d’habitation et j’ai encore tellement de choses à faire dans ce milieu. Je me vois comme une bougie d’allumage ou un accompagnateur dans ce processus. J’ai toujours eu cette vision que l’humain est extraordinaire et qu’il s’agit de lui donner les déterminants positifs pour faire rayonner ce beau potentiel. »
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